Deux mareyeurs, cinq de leurs employés et un braconnier comparaissaient, les 22 et 23 juin, à la barre du tribunal correctionnel des Sables d’Olonne pour un trafic portant sur environ une tonne de civelles, entre 2016 et 2018.
« Je ne referai plus jamais ça » a-t-il assuré dans le bureau du juge d’instruction. Le président du tribunal correctionnel des Sables d’Olonne égrène les condamnations figurant à son casier judiciaire, dix-sept, dont cinq pour pêche de civelles de contrebande. « Je ne pensais pas que c’était illégal. Je savais que ce n’était pas autorisé. J’aime bien la pêche. Je fais aussi du carnassier » dit-il. Père de trois enfants, auto-entrepreneur dans le bâtiment, soupçonné, déduction d’écoutes téléphoniques, d’être « le Gaulois », au rôle de collecteur de civelles pêchées par d’autres, il est en détention provisoire depuis mars 2023, dans une nouvelle affaire de trafic de civelles démantelé avec d’importants moyens d’investigations dans le sud-ouest de la France. « Non, je ne suis pas le Gaulois » et « non », il ne connaît aucun des sept autres prévenus présents à la barre. « Biscotte ? » demande le président. « Je veux le n° de Biscotte, j’le veux. J’ai 300 kg » l’entend-on sur une écoute téléphonique de mars 2018.
Confusions
Enquêteurs et justice soupçonnent que Biscotte soit le surnom d’un mareyeur vendéen jugé à ses côtés. Lui était interpellé en avril 2018, à l’aéroport, en partance, en compagnie de sa compagne, pour des « vacances » à l’île Maurice, avec quelque 7 300 € en petites coupures en poche. La rumeur tenace lui attribuait la propriété, dans ce pays sorti de la liste des paradis fiscaux en octobre 2021, d’une résidence et de comptes bancaires. Ni l’une ni les autres, assure mordicus le mareyeur. La contrebande de civelles lui a déjà valu condamnations et il est toujours sous le coup d’une inculpation dans un trafic de civelles, instruit à Bordeaux, depuis 2017. Il a commencé à faire de la civelle en « 2003-2004 », de l’illégale, « en 2017 ». « J’ai toujours fait la pêche à l’anguille. On m’a laissé à la maternité. La personne qui m’a élevé m’a appris à pêcher, dans le Marais poitevin. Lui volait des auto-radios, moi je braconnais. » raconte le mareyeur qui, aux questions du tribunal sur ce dossier, « jure » ne plus, ne pas savoir, ni se souvenir. « Tout est possible. Je n’étais jamais sur les bassins. J’étais toujours sur la route. » précise-t-il. Sur la route de l’Espagne notamment. En convoi, le cas échéant, camion transportant des civelles de contrebande et voiture ouvreuse pour prévenir d’une éventuelle présence policière ou douanière.
Enveloppes
Mareyeur et convoyeurs rentraient en France avec du cash, règlement de tout ou partie des livraisons, réparti entre les différents membres de la bande pour éviter de tout perdre en cas de pépin. Un des convoyeurs a reconnu avoir remis, à la sortie de l’autoroute, une enveloppe contenant 10 à 15 000 € à une personne qu’il connaissait. Un autre a remonté une enveloppe de 5 ou 6 000 €, « je ne regardais pas » précise-t-il. « Quand j’avais plus de 10 000 €, je prenais 6 000 et je répartissais le reste » reconnaît, à la barre, le mareyeur. De l’argent liquide destiné notamment à payer les petites mains du trafic, employés sans contrat du mareyeur, braconniers, 6 000 €, 7000 €, 250 € concèdent les uns et un autre… Nombre de promesses de rémunération n’ont, semble-t-il, pas été honorées. « J’ai eu des gens qui sont venus me menacer parce que je leur devais de l’argent. 69 000 € » raconte le mareyeur. « J’ai rien touché. » assure l’un des employés, présenté par les enquêteurs comme le « bras droit » du mareyeur. « J’étais le seul employé. Il fallait bien que quelqu’un s’occupe des affaires. Bras droit, un bien grand mot » conteste ce gaillard, un brin sanguin à en voir ses réactions à la barre et à en croire son casier judiciaire, outrages et violence avec arme.
Quoi qu’il en soit, difficile d’estimer les sommes brassées. « C’est chez vous que la perquisition a été la plus fructueuse » constate le président à propos d’un autre employé du mareyeur, avant de lister les « 5 630 €, 2 000 €, 2 400 € et 68 970 € » confisqués sur ses comptes et débusqués dans quelques tiroirs de son domicile. Dans un ancien poulailler, une poubelle a servi de planque à un magot de son patron, mais le jour de la descente, le chien policier ne reniflait que l’odeur de l’argent. Les enquêteurs ont estimé que l’homme en détention provisoire et le « bras droit » menaient des trains de vie bien supérieurs à leurs revenus déclarés. « Je déclarais de tête » justifie le premier.
Analyses
Guère plus facile d’estimer les quantités de civelles braconnées. Un peu plus d’une tonne, à la louche. « J’ai acheté de la civelle illégale. 300 kg, je dirais. » reconnaît un second mareyeur associé, à parts égales, du premier. Juste ce qu’il fallait pour remplacer les civelles mortes des captures légales, précise-t-il en substance. Leur commerce ne semble pas avoir été mené sous le signe de la confiance mutuelle. « Je savais qu’il y avait quelque chose qui ne collait pas. Je lui ai dit qu’il faisait de l’illégal dans mon dos. Il savait lui aussi que je faisais de l’illégal. Si on ne le faisait pas, on perdait des bateaux. Quand on achète des poissons 300 € le kg et qu’il y a de la mortalité… » raconte le second mareyeur. En avril 2023, la cour de cassation confirmait sa condamnation à un an de prison ferme plus huit mois avec sursis dans une affaire de trafic international de civelles jugée, en première instance, à Nantes, une peine qu’il est en passe d’exécuter sous bracelet électronique. Il travaille, depuis trois ans, dans les panneaux photovoltaïques, mais conserve visiblement un œil sur la civelle. « Aujourd’hui, on est sur un marché où ça sonne que trafic. À cause de la réglementation. Je dis pas que c’est pas bien qu’il y ait des quotas. Depuis la ressource va beaucoup mieux. Les pêcheurs, ils font leur quota en trois jours. Les ressources sont abondantes. Pas à cause du repeuplement. C’est à cause de l’interdiction, de l’arrêt de la pêche de l’anguille d’avalaison. Une anguille produit 200 kg de civelles » lâche-t-il.
Prison requise
« Le braconnage de civelles fonctionne très bien sans Monsieur Biscotte ? » demandait, en cours d’audience, le président. « Il fonctionne peut-être mieux » répond le mareyeur vendéen. « La civelle, c’est fini. Ça été tout ma vie. » concluait-il.
La vente de leur société de mareyage leur a rapporté 100 000 € chacun, de quoi payer les 50 000 € de caution du contrôle judiciaire.
À l’issue des débats, le procureur requérait 3 ans d’emprisonnement dont un an avec sursis et 100 000 € d’amende à l’encontre du premier mareyeur, 18 mois dont six avec sursis et 100 000 € d’amende contre le second, 6 mois ferme et 30 000 € contre le braconnier, 10 000 € d’amende contre les employés des mareyeurs. Peines assorties pour tous d’interdictions de pêcher et de confiscations des biens saisis. Les sommes à débourser devraient s’alourdir des dommages et intérêts demandés par une dizaine d’associations de défense de l’environnement et d’organisations professionnelles, dont le Comité national de la pêche professionnelle en eau douce (Conapped), constituées parties civiles. Délibéré le 21 septembre.