Aujourd’hui en France, dix des quelque 400 pêcheurs professionnels en eau douce sont des femmes. Petits portraits croisés de quatre de ces passionnées.
« Un jour, mes filets se sont pris dans mon moteur, poussés par un coup de bise surprise comme il en arrive sur le lac. J’aurais pu démonter et monter, sans trop de difficulté, mon moteur à bord pour le débarrasser des filets, mais ensuite j’aurais été incapable physiquement de le remettre en place. J’ai attendu qu’on vienne me chercher. » raconte Catherine Carraud, pêcheuse professionnelle, depuis 1993, sur le lac Léman. Un genou et un dos meurtris ont contraint cette ancienne étudiante des beaux-arts à désormais privilégier le travail à terre, à la pêcherie de Chens-sur-Léman qu’elle dirige avec son frère. « 300 kg de poissons, c’est difficile à manipuler. Et travailler sur l’eau l’hiver, ce n’est pas toujours très drôle » raconte Blandine Bourlès, 35 ans. Elle, pêchait, il y a encore peu, sur l’Erdre, affluent de la Loire.
Passion à la dure
Le métier est dur, mais elles l’adorent. Ces pêcheuses aiment par-dessus tout être en contact avec la nature, y éprouvant un profond sentiment de liberté. La pêche est leur passion. « Plus qu’une vraie passion. C’est mon biotope » renchérit Catherine Carraud.
À 82 ans, Francine Berneau adhère toujours à l’association des pêcheurs professionnels de Loire-Bretagne, et donne à l’occasion, à hauteur de Sandillon, village à une dizaine de kilomètres à l’est d’Orléans dans le Loiret, quelques coups de filets pour prendre ablettes et autres petits poissons blancs à cuisiner en friture. Pendant un demi-siècle, ses pêches, réalisées avec son mari, ont agrémenté les assiettes des clients de son restaurant. « C’est un plaisir d’aller chercher le poisson, et de le trouver » indiqueNicole Dasquet. À 56 ans, elle partage, depuis 25 ans, au rythme des saisons, son temps entre la pêche en Adour, sur les Gaves, « civelle, lamproie, alose et saumon », et la culture du « maïs et de kiwis label rouge ». Nicole est fille de marin pêcheur, et travaille depuis 6 ans avec son mari.
Gènes
« J’ai suivi mon père et mon frère » précise Catherine Carraud. Elle ne se souvient pas de son premier coup de filet. Elle peut juste dire que c’était « au retour des beaux jours, en mars », ajoute-t-elle, et qu’il lui fallut, sur sa barque traditionnelle des pêcheurs du petit lac Léman, « se débrouiller toute seule ». Apprentissage aussi sur le tas pour Blandine Bourlès, fille de Guy, une des figures tutélaires de la pêche professionnelle française. « J’aime poser les filets, pêcher l’anguille au verveux » s’enthousiasme la jeune femme, viscéralement attachée à son indépendance dans le travail. Elle pensait reprendre le bail des ancestraux territoires de pêche de son père, sur la plaine de Mazerolles, sur l’Erdre. Un contentieux entre son paternel et le propriétaire des lieux en a décidé autrement. La pêcheuse est en quête de nouveaux territoires de pêche.
Francine, elle, se soucie surtout de l’avenir de la friture sur les tables des restaurants de bords de Loire. « Elle est aujourd’hui plus difficile à vendre qu’à pêcher » indique la nonagénaire. En Adour, c’est l’évolution administrative du métier, carnet de pêche qu’il faut tenir à bord et qui prennent l’eau, quotas de captures de pibales et autres paperasses, qui chagrine un rien Nicole Dasquet. « On a perdu un peu de la liberté d’aller pêcher » explique-t-elle. Ce qui ne l’empêche pas de mener son couralin, barque de bois de 5-6 mètres de long, 1,2 de large, motorisé à 30 CV, avec sérénité. « Ici, on pêche tranquille. Il n’y a pas de pression des autres catégories de pêcheurs » se félicite-t-elle. Les relations avec ses collègues masculins des lots de pêche avoisinants sont invariablement au beau fixe. Et quand on interroge plus largement ces pêcheuses sur un éventuel sexisme de la profession. Les unes et les autres balaient vertement l’idée.