Il y a les réjouissantes et rassurantes années avec et les inquiétantes années sans. La féra s’est faite particulièrement rare dans les filets des pêcheurs professionnels du lac Léman, ces deux dernières années. « On ne peut pas aller plus bas. On est à quelques poissons par jour » se désolait, en avril dernier, Michaël Dumaz, le président des pêcheurs professionnels des lacs alpins. « Nous avons commencé à voir les populations de féras baisser doucement dés 2015. » se rappelle-t-il. Un constat d’une chute des captures d’autant plus marqué que « lors des saisons de pêche 2013-2014, il s’est pêché quelque 900 tonnes de féras » précise, sur la base des statistiques de pêche compilées par le canton de Vaud en Suisse, Chloé Goulon, ingénieur d’études indicateur halieutique et ichtyologique, à l’Institut national de recherche agronomique (Inra) de Thonon-les-Bains. « En Suisse, on a commencé à parler de surpêche » indique Michaël Dumaz. Assertion aussitôt et formellement contestée par le pêcheur. Selon ces mêmes données du canton de Vaud, en 2017, 470 tonnes de féras ont été prélevées dans les eaux du Léman. Plus ou moins les tonnages de captures enregistrés sur les dix premières années du 21e siècle. Des quantités de captures qu’il faut mettre en perspective avec les 50 tonnes pêchées dans les années 1980, temps où l’eutrophisation excessive du lac asphyxiait la vie aquatique. Pour Michaël Dumaz, il semble plus pertinent d’aller chercher du côté des changements climatiques, les causes de la faiblesse des captures actuelles, faiblesses exceptionnelles effectivement si l’on se réfère au pic de 2013-2014. « Nous avons connu des automnes très chauds et des hivers extrêmement doux ces dernières années. Les températures de l’eau sont restées trop élevées en début d’hiver, ce qui a eu pour conséquence de compromettre la fraie des féras. Dans les années d’abondance 2012-2014, la période de pêche aux féras a été prolongée de 15 jours et aujourd’hui sa pêche est fortement restreinte les premières semaines de l’ouverture pour protéger les jeunes individus et les géniteurs tardifs. » explique-t-il.
Suivis de la population
« Nous avons réactivé en 2018, un suivi halieutique concernant la population de féra à partir des captures des pêcheurs professionnels, de pêches scientifiques, d’échantillonnages lors des pêches exceptionnelles de géniteurs réalisées dans le cadre du programme d’alevinage. Une campagne d’hydroacoustique va être réalisée, cet été, pour déterminer l’abondance de la population. Ces suivis doivent nous permettre d’estimer plus précisément l’état du stock, d’établir le calendrier de reproduction… » explique Chloé Goulon. Les données d’ores et déjà recueillies sont en cours d’analyse. « Nous aurons une meilleure vue d’ensemble fin 2019 » indique la scientifique de l’Inra.
Les captures accidentelles, de jeunes féras, ont légèrement atténué les inquiétudes des pêcheurs, laissant présager le retour d’une génération de féra dans la pêche pour 2020-2021. Et la situation sur le Léman ne semble pas très différente de celle observée sur le lac du Bourget. « L’une des leçons que l’on doit tirer, c’est qu’il est essentiel que nous gérions mieux les années d’abondance, même si c’est difficile » indique Michaël Dumaz.
En attendant, un paramètre est aujourd’hui parfaitement établi : la température de l’eau du lac a augmenté de 1,5 °C depuis les années 1970, un réchauffement qui n’est pas sans conséquence sur les cycles biologiques de la flore et de la faune aquatiques.