Il n’est guère désormais d’arrêtés et de décrets réglementant la pêche d’espèces de poissons migrateurs qui ne fassent l’objet d’actions judiciaires. Au Conseil d’État, les ordonnances du juge des référés se suivent et, d’une saison de pêche à la civelle à l’autre, se ressemblent. Le 13 novembre dernier, Défense des milieux aquatiques et l’association française d’étude (sic) et de protection des poissons, apparue mi-mars 2023 dans le paysage, et dont on ne sait guère de choses, étaient déboutées de leur demande de suspension en urgence des arrêtés fixant, en zone maritime, les dates de pêche et les quotas de captures de civelles pour la saison de pêche 2023-2024. En attendant le jugement au fond, à l’horizon 2025 au regard des délais de la justice administrative, le rejet de la requête permet aux civeliers de poursuivre leur campagne de pêche débutée le 1er novembre.
En juillet 2023, cette même association française d’étude et de protection des poissons demandait au Conseil d’État d’interdire en urgence la pêche de l’anguille jaune aux pêcheurs de loisir en eau douce, requête à laquelle s’opposait la fédération nationale de la pêche en France. Requête rejetée également.
Virevoltes à loisir
Pourtant en 2011, la fédération nationale de la pêche en France était bien de l’autre côté de la barre pour contester, dans la foulée de la mise en place du plan de gestion de l’anguille français, les quotas de captures de civelles. Flambeau de la contestation des quotas rallumé, en 2021, par Défense des milieux aquatiques.
Le 9 novembre dernier, Défense des milieux aquatiques et l’Union des fédérations départementales pour la pêche et la protection du milieu aquatique du bassin de l’Adour obtenaient du tribunal administratif de Bordeaux l’annulation du plan de gestion des poissons migrateurs (Plagepomi) Dordogne-Garonne. L’annulation n’impliquait pas « que le préfet mette en place un nouveau conseil de gestion des poissons migrateurs, qu’il ferme définitivement toutes les pêches aux engins et extractives des espèces d’intérêt communautaire, qu’il interdise définitivement l’usage du filet dérivant dans tous les bassins de sa compétence. » Mais en Gironde, la pêche des lamproies marines aux filets dérivants et aux nasses, était fermée depuis avril 2023, suite à la suspension, par le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux, de l’arrêté réglementaire permanent autorisant la pêche. En mai suivant, un même juge des référés, du tribunal administratif de Pau cette fois-ci, rejetait des requêtes, à l’initiative des mêmes, d’une teneur identique sur le bassin de l’Adour, dans les Landes et les Pyrénées-Atlantiques.
Préfet hors-la-loi
Sur le Rhône, en juin 2023, c’est le Plagepomi Rhône-Méditerranée qui faisait lui aussi l’objet d’une suspension judiciaire. Défense des milieux aquatiques était encore là, aux côtés de Silurus glanis et de la fédération de pêche du Vaucluse, précédemment, pour cette dernière, signataire, pourtant sans retenue, de ce plan de gestion. La requête en référé ciblait spécifiquement la pêche à la lamproie marine et à l’alose, deux espèces qui ne concernent pas les pêcheurs professionnels en eau douce, et dont une a disparu du bassin. Mais la suspension se répercutait, par ricochet préfectoral avec la modification de la taille de la maille des filets, sur la pêche au silure, espèce contribuant essentiellement à la survie économique des entreprises de pêche.
En octobre 2022, un jugement de la cour administrative d’appel de Lyon obligeait le préfet de l’Ardèche d’instruire à nouveau, dans un délai de deux mois, la demande de licence de pêche à l’anguille jaune de deux pêcheurs professionnels exerçant sur le Rhône. Décision judiciaire royalement ignorée par le préfet, qui délivrait, non moins royalement, en 2022, pour l’année 2019, une autorisation avec un quota annuel de 3 kilos d’anguilles jaunes par lot pêchées au carrelet. Décision qui obligeait la pêche professionnelle à former, en 2023, de nouveaux recours pour refus de délivrances de licences.
« Victoire », « défaite », les uns s’en réjouissent, les autres le déplorent, et vice et versa, selon leur position à la barre. Mais la judiciarisation de l’exploitation des ressources piscicoles a fait entrer de l’incertitude, de l’inquiétude dans l’exercice du métier de pêcheur professionnel en eau douce, profession qui ne peut être seule, les études scientifiques le prouvent, incriminée dans la baisse des populations de poissons migrateurs.