Le canal de Jonage, sur le Rhône, premier secteur ayant fait l’objet, en 2005, d’une interdiction de consommation de poissons contaminés aux PCB.
En 2005, Cédric Giroud, pêcheur professionnel sur le Bas-Rhône, dénonçait, tel un lanceur d’alerte, la pollution des eaux aux PCB. Les premiers arrêtés préfectoraux d’interdiction de commercialisation et de consommation de poissons étaient pris aussitôt. Dans un souci de santé publique, nombre de pêcheurs professionnels étaient contraints de réduire leurs activités voire de les cesser complètement. En dehors des « points chauds » autrement appelés administrativement « zones de préoccupation sanitaire (ZPS) » caractérisées par une contamination jugée plus élevée, les interdictions auraient dû être levées en 2016. Il a fallu attendre parfois cinq ans pour qu’elles le soient.
Les préfets ne montrent pas toujours un grand empressement ni plus de spontanéité à faire appliquer les instructions ministérielles. En avril 2016, les ministères de la Santé, de l’Agriculture et de l’Environnement, conformément à un avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation et de l’environnement (Anses) de juillet 2015, invitaient les préfets à lever, hors zones de préoccupation sanitaires dûment localisées, les interdictions de commercialisation et de consommation de poissons d’eau douce dits « fortement-bio-accumulateurs », anguilles, barbeaux, brèmes, carpes, silures, peuplant des cours d’eau potentiellement contaminés par les polychlorobiphényles (PCB).
À consommer avec modération
Les niveaux de contamination de ces espèces sont désormais, indiquait en substance et entre autres arguments l’Anses, suffisamment bas pour qu’elles soient consommées avec modération sans risques pour la santé. Une consommation, recommandait avec ceinture et bretelles l’agence, toutefois « exceptionnelle » pour l’anguille, et pour les autres espèces fortement bio-accumulatrices, « une fois tous les deux mois pour les femmes en âge de procréer, enceintes ou allaitantes ainsi que les enfants de moins de 3 ans, les fillettes et les adolescentes ; deux fois par mois pour le reste de la population. » Les poissons fortement bio-accumulateurs des zones de préoccupation sanitaires du Rhône, et les poissons, toutes espèces confondues, de la ZPS de Seine, restaient, eux, et restent toujours strictement interdits à la commercialisation et à la consommation.
En 2016, dans la foulée de cette directive ministérielle, le préfet de l’Isère annonçait son intention d’autoriser à nouveau la pêche professionnelle sur des lots ouverts lors du dernier renouvellement des baux. C’est chose faite depuis… novembre 2020. « Possible que cette levée ait été facilitée par l’intervention auprès du préfet d’une députée de l’Isère que nous avions alertée en juillet avec Nicolas Courbis, président de l’association des pêcheurs professionnels de Rhône aval-Méditerranée » indique Nicolas Stolzenberg, chargé de mission au Comité national de la pêche professionnelle en eau douce (Conapped).
Arbitraire préfectoral
Sur ce bassin rhodanien, il ne restait alors à cette date que le secteur de Saône aval sur lequel les levées prévues par l’instruction ministérielle n’étaient toujours pas appliquées. Mi-janvier 2021, ces dernières interdictions étaient enfin abrogées. « Je viens de recevoir l’arrêté qui lève les PCB sur la Saône, du confluent de la Saône avec le Doubs jusqu’au barrage-écluse de Dracé, dans le Rhône. Notre association travaillait sur ce dossier depuis plusieurs années » se réjouit Nicolas Perrin, président de l’association des pêcheurs professionnels en eau douce de la Saône, du Doubs et du Haut-Rhône. De quelles nouvelles données les préfets du Rhône, de l’Ain et de la Saône-et-Loire disposent-ils pour asseoir cette décision ? Aucune. Leurs justifications conjointes se calent à l’identique sur les arguments gravés dans l’instruction ministérielle de 2016.
Levées à petits pas
Ici et là, les préfets ont certes été plus ou moins prompts. Les représentants de l’État de la Drôme, de l’Ardèche, du Gard et du Vaucluse levaient, en janvier 2019, les interdictions PCB, sur la portion du Rhône traversant ces départements s’étendant de la confluence de l’Isère à celle de la Durance. Ceux ayant autorité sur le bassin Gironde-Garonne-Dordogne permettaient de nouveau aux pêcheurs professionnels de commercialiser anguilles et aloses feintes dès 2016, et il fallait attendre 2017 pour que les préfets des deux départements du Rhin et celui du Doubs signent des arrêtés du même acabit.
Le lac du Bourget
Mauvais prétexte
En 2016, le directeur départemental des territoires de l’Yonne prenait prétexte des PCB, et particulièrement de leur présence dans les anguilles, pour refuser, via les cahiers des charges pour l’exploitation des droits de pêche de l’État sur le domaine public fluvial, d’accorder aux pêcheurs professionnels en eau douce de l’association des bassins de la Seine et du Nord la possibilité d’exercer leur activité sur l’Yonne, le Loing, le Serein et le canal du Nivernais. Une décision jugée illégale par le tribunal administratif de Dijon, en janvier 2019, estimant notamment que « les seules mesures de restrictions applicables ou susceptibles de l’être à la pêche des anguilles paraissent insuffisantes à justifier la mesure d’exclusion de toute exploitation par des pêcheurs professionnels dans la totalité des eaux en cause. » Et les anguilles sont peu nombreuses dans ces cours d’eau et elle n’est nullement une espèce que nous ciblons avait, entre autres arguments, avancé l’association interdépartementale des pêcheurs professionnels en eau douce des bassins de la Seine et du Nord.
Préoccupations résiduelles mais réelles
Les interdictions de commercialisation et de consommation des poissons fortement bio-accumulateurs exposés aux risques de contamination par les PCB sont aujourd’hui levées dans l’ensemble des départements traversés par des cours d’eau exploités par les pêcheurs professionnels en eau douce. Reste toutefois la question des cours et plans d’eau, domaines, hier, de pêcheurs professionnels, et classés tout ou partie ZPS depuis 2005, et qui le sont toujours aujourd’hui, Seine, Rhône au Grand-Large, bas-Rhône, lac du Bourget.
En juin 2018, le Conapped jugeait judicieux, le temps écoulé ayant peut-être fait œuvre d’assainissement, d’évaluer à nouveau les niveaux de contaminations aux PCB de ces ZPS. La direction générale de l’alimentation (DGAL) était destinataire d’un courrier. Un an plus tard, cette même direction indiquait à la région Normandie, sollicitée par l’association des pêcheurs professionnels en eau douce des bassins de la Seine et du Nord pour que soient réalisées de nouvelles analyses PCB, qu’une saisine, en cours à l’Agence nationale de santé et de sécurité alimentaire, devrait permettre de disposer prochainement d’une méthodologie de révision des ZPS, et notamment des protocoles de prélèvements et d’analyses pour faire un état des lieux. « L’Anses est en passe de proposer, dans quelques mois, une nouvelle méthodologie d’évolution et de révision des ZPS » répondait la DGAL, en juin 2019, au courrier du Conapped. En novembre 2020, la direction départementale des territoires (DDT) de Savoie reprenait alors à son compte l’idée d’une méthodologie, à élaborer en collaboration avec les instances scientifiques et administratives compétentes, pour réétudier le classement du lac du Bourget en ZPS. Le lac reste en ZPS répondait promptement la DGAL qui ne se montrait alorsnullement préoccupée de proposer quels que protocoles de prélèvements et d’analyses que ce soit.
Trois mois plus tard, en février 2021, pour le ministère de l’Agriculture et la direction générale de l’alimentation, le temps n’est pas encore venu de mettre en œuvre un programme général de réévaluation des ZPS. « Les prélèvements réalisés dans le cadre du plan national PCB ne datent que d’environ 10 ans, alors que la demi-vie de ces composés organiques persistants est de l’ordre de plusieurs dizaines d’années, voire centaines d’années pour certaines molécules. Une diminution notable des niveaux de contamination n’est donc pas attendue. » explique-t-il. Mais ici et là, au cas par cas, pourquoi pas, faut voir ! laisse-t-il entendre en substance. Si jamais se présente une demande de révision de certaines ZPS portée et financée par des instances locales à la demande d’une association de pêcheurs pros, étayée par l’intérêt économique d’une réouverture et en fonction des données existantes sur le niveau de contamination des poissons, l’Anses a, tout prêt dans ses tiroirs, un protocole d’analyses pour l’évaluer. Et si le temps de dégradation des molécules est long, en effet, les tendances de contamination des sédiments fluviaux par les PCB sont inexorablement à la baisse suite aux mesures réglementaires prises pour réduire les rejets de PCB, et en lien avec la mobilité de ces sédiments comme le montrent, en 2016, Babut et consorts.
Embouchure du Petit-Rhône
Expectatives
Attendons et voyons ce que projette l’Europe laissent de toute façon entendre ministère et DGAL dans un courrier de juin 2019 au Conapped et un mail de février 2021. « L’autorité européenne de sécurité des aliments a publié le 20 novembre 2018 une valeur révisée de la dose hebdomadaire tolérable (DHT) pour les dioxines/furanes et PCB-DL. Cette nouvelle DTH est 7 fois inférieure à la valeur alors retenue par l’autorité européenne de sécurité des aliments établie en 2001 et 2,5 fois inférieure à la valeur retenue par l’Anses en 2016. Cette nouvelle publication de l’autorité européenne de sécurité des aliments va donner lieu à des travaux complémentaires qui menés conjointement avec l’Anses, pourraient induire un réajustement des recommandations de consommation […] La dynamique actuelle est plutôt à un abaissement des teneurs maximales et il y a donc très peu de chance que la demande de la France [à l’Europe de faire évoluer la teneur maximale concernant les 6 PCB-NDL pour les poissons d’eau douce sauvage de 125 ng/g à 250 ng/g de poids à l’état frais] aboutisse ».