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Du transfert de lamproies, en droit et en pratique

18 juin 2024

Les transferts de géniteurs de lamproies sur des frayères vierges de silures, en Dordogne et sur le Ciron, affluent de la Garonne, sont visiblement bénéfiques. Trois à cinq fois plus de nids sur les frayères, doublement du nombre de juvéniles issus de ces reproductions et rajeunissement des larves, ont évalué l’association Migrateurs Garonne-Dordogne (Migado) et le syndicat du Ciron, chargés des suivis des transferts de lamproies marines réalisés de 2021 à 2023.

Peu importe ces réussites, semble-t-il, pour Défense des milieux aquatiques, association acharnée à faire interdire la pêche aux filets et aux nasses sur le bassin de la Gironde, et sur l’ensemble des bassins hydrographiques français. Et peu importe également que ces lamproies pêchées retrouvent leur milieu bel et bien vivantes, et parfaitement vaillantes pour se reproduire. À croire que la pérennité de l’espèce n’est contrairement à ce qu’elle revendique, guère son souci.

En février dernier, associée aux pêcheurs amateurs aux engins et filets de Gironde, elle obtenait du juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux la suspension des opérations de captures et de transfert de 21 000 lamproies autorisées par les préfets de Gironde et de Dordogne fin janvier 2024.

3 055 lamproies marines capturées et remises à l'eau vivantes dans des zones de frayères vierges de toute présence de silures

Brut de jugement

« Cet arrêté a pour objet d’autoriser la capture de 21 000 lamproies marines en vue de leur translocation, notamment à l’aide d’un filet dérivant d’une longueur maximale de 180 mètres avec des mailles de 36 mm et ce, jusqu’au 31 mars 2024. Or, un tel procédé de pêche a non seulement une incidence sur le sort de la lamproie marine pour laquelle il n’est pas établi qu’une opération de translocation de cette envergure aura une incidence bénéfique pour l’espèce, mais aussi sur celui du saumon atlantique, de la grande alose et de l’esturgeon, qui sont des poissons dont les caractéristiques morphologiques ne leur permettront pas d’échapper aux mailles utilisées. En l’état de l’instruction, il apparaît que l’activité de pêche organisée par l’arrêté litigieux, compte tenu de son ampleur et des incertitudes sur lesquelles elle repose, quand bien même elle serait « ponctuelle », est susceptible d’affecter de manière significative les espèces à la protection desquelles les sites Natura 2000 précités sont dédiés. […] En l’absence d’une évaluation des incidences Natura 2000, l’exécution de l’arrêté inter-préfectoral du 22 janvier 2024 pris par les préfets de la Gironde et de la Dordogne doit être suspendue » estime le juge.

Le juge n’est pas pêcheur

Un des volets de la motivation juridique frise la parfaite méconnaissance des techniques de pêche, des réalités et des pratiques de terrain. « Ce filet à maille de 36 mm peut, dans l’absolu, capturer un esturgeon, mais celui-ci est remis à l’eau vivant systématiquement et en très bonne forme. Les pêcheurs professionnels sont formés et rompus, depuis plus de vingt ans, à cet exercice. Une telle prise est, de toute façon, rarissime. En zone fluviale pour le moment il y a très peu d’esturgeon. Mais c’est grâce notamment à ces captures accidentelles que l’on recueille des informations sur la présence de ces individus en zone fluviale. Certes, les pêches de lamproies se sont déroulées dans les périodes de remontée des saumons. Mais, là encore, le maillage utilisé limite considérablement leurs captures accidentelles et là aussi, tout saumon capturé est remis à l’eau vivant » détaille Émilie Rapet, chargée de mission pêche et environnement pour les associations de pêcheurs professionnels en eau douce de Gironde et d’Adour.

Le jugement sur le fond réfutera-t-il cette motivation « juridico-piscicole » à l’emporte-pièce ? Le Conseil d’État, plus haute juridiction administrative, tend à graver l’absence d’évaluation d’incidences, invariable motif, depuis 2023, de suspensions ou d’annulations d’arrêtés préfectoraux et de plans de gestion piscicoles en zone Natura 2000, dans sa jurisprudence.

Tout bénèf’ pourtant

Avant même la suspension judiciaire, les crues et les mauvaises conditions hydrologiques n’avaient permis aux pêcheurs professionnels fluviaux de la Gironde, assistés du centre pour l’aquaculture, la pêche et l’environnement de Nouvelle-Aquitaine (CAPENA), de ne capturer que 3 055 lamproies. 1923 étaient relâchées à Vayrac, dans la Dordogne, 1 132 à Villandraut dans le Ciron. « Le bénéfice de ces opérations de transfert est considérable, inégalable, quand on sait que plus aucune lamproie n’atteint les zones de frayères amont et aval aujourd’hui, même en période d’interdiction totale de pêche. Pas étonnant quand on sait qu’elles se font prédater à 80 % minimum en Garonne et Dordogne » conclut Émilie Rapet.