On leur espérait une longue vie. Elle fut brève. Une demi-journée pour, au moins, 18 d’entre eux mangés par un ou des silures. Une fin prématurée préalablement annoncée par des pêcheurs professionnels en eau douce.
Début octobre, dans le cadre du plan national d’actions pour la sauvegarde de l’esturgeon européen, 4 000 jeunes esturgeons européens (ascipenser sturio), de trois mois, nés et élevés à la station expérimentale de l’Inrae de Saint-Seurin-sur-l’Isle (Gironde), étaient lâchés, moitié au Fleix, dans les eaux de la Dordogne, moitié à Couthures-sur-Garonne dans celles de la Garonne, deux frayères historiques de l’espèce menacée de disparition et protégée et désormais des zones de ponte que les silures colonisent abondamment. « Peut-être serait-il judicieux de capturer quelques silures, ou, pour le moins, de les effaroucher, avant toute mise à l’eau des jeunes esturgeons ? On sait maintenant que les silures sont des prédateurs d’une voracité sans retenue. » suggérèrent en substance quelques pêcheurs professionnels en eau douce à l’Inrae et à l’association Migrateurs Garonne Dordogne (Migado), responsables des lâchers.
Silence, on mange !
« Personne ne nous a répondus. Ni oui, ni non » précise l’association des pêcheurs professionnels en eau douce de la Gironde. Sur la Garonne, dans l’après-midi suivant la remise à l’eau des sturio, un pêcheur professionnel prenait dans ses filets, dans la zone des lâchers, trois silures, deux de 70 cm, un de 1,60 m, qui régurgitaient, effet du stress de la capture, 18 juvéniles (photo). Un festin de palais versaillais à 4 500 €, 18 fois 250 € pièce, le prix, grosse maille, de revient tout compris de l’élevage d’un « bébé » sturio.
« Les femelles esturgeons nées en 2007 à la station de Saint-Seurin, et mises à l’eau la même année, arrivent à l’âge de leur maturité, et sont donc susceptibles de revenir se reproduire sur leurs frayères. Les premières reproductions naturelles ont même peut-être déjà eu lieu ? On peut légitimement être inquiets sur l’espérance de vie de leurs progénitures » se désole l’association des pêcheurs professionnels en eau douce de la Gironde.
« Pouvez-vous, s’il vous plaît, m’indiquer pourquoi n’y a-t-il pas eu de réponse à la proposition, des pêcheurs professionnels en eau douce notamment, d’effectuer avant les lâchers d’esturgeons, des pêches de régulation ou des opérations d’effarouchement des silures ? » demandait-on à Bénédicte Valadou, responsable à l’Office français de la biodiversité (OFB) du plan national d’actions sur l’esturgeon. « Je préfère vous diriger vers les bons interlocuteurs (en copie). » répondit-elle. Interlocuteurs de l’OFB, contactés, qui restèrent une nouvelle fois silencieux.
Le comité national pour la nature a récemment validé le plan national d’actions pour la sauvegarde de l’esturgeon européen jusqu’en 2029, à la condition impérative « d’évaluer les risques et de mettre en place des mesures pour limiter l’impact de prédation par des espèces introduites, comme le silure » Une première chose est sûre : en juin 2020, des esturgeons repêchés présentaient des traces de morsures de silure ; une seconde est avérée : les conclusions des récentes études scientifiques, menées en Gironde et en Loire, prouvent l’extrême prédation du silure sur les lamproies et les aloses.