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Cri d’alarme pour les poissons migrateurs en danger

2 septembre 2020

Un communiqué de presse conjoint du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM), du Comité national de la pêche professionnelle en eau douce (Conapped) et de l’association pour le repeuplement en anguilles en France (Ara France) en complément de la publication, en juillet dernier, du rapport du Living planet index sur l’effondrement, en Europe depuis 1970, des populations de poissons migrateurs.

« La publication au mois de juillet 2020 du rapport du Living Planet Index sur l’effondrement depuis 1970 de nos poissons migrateurs d’eau douce, tout particulièrement en Europe, a fait fortement réagir notre presse nationale et régionale.

Si les professionnels de la pêche en eau douce et des estuaires partagent le constat d’une situation plus que préoccupante, avec la dégradation des milieux continentaux et littoraux et la raréfaction consécutive de nos stocks de poissons, cette publication suscite de leur part des commentaires et des ajustements sur la liste des principaux effets et impacts responsables de cette situation.

La dégradation et la perte des habitats : La France (comme les pays de l’Union européenne) ne s’est pas donnée les moyens de ses ambitions.

En 2016, un rapport d’information de l’Assemblée Nationale sur les continuités écologiques énonçait que la France en matière de continuité écologique latérale et longitudinale « ne s’est pas donnée les moyens de ses ambitions ». Conséquence : les objectifs affichés pour 2020 seront loin d’être atteints. Il dénombrait selon les études de l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques 76 292 obstacles en France métropolitaine (en moyenne un tous les 5 km) dont la moitié n’avait plus d’usage avéré.

Les conséquences pour les poissons migrateurs (dont les poissons amphihalins1 : salmonidés, anguille/civelle, aloses, lamproie marine) sont désastreuses dans un contexte de réchauffement climatique et de dégradation accentuée de la majorité de nos masses d’eau continentale, estuarienne et littorale. Ces espèces voient leurs habitats essentiels de plus en plus réduits à des zones souvent situées dans les cours inférieurs et moyens des bassins versants dont la qualité est généralement la plus dégradée. Cette dégradation d’abord principalement organique, devient de plus en plus insidieuse avec l’accumulation de PCBs (polychlorobiphényles) dans les sédiments, de résidus médicamenteux et d’un cocktail de substances chimiques diverses posant des problèmes pour la physiologie et la survie de nombreuses espèces d’animaux aquatiques.

L’anguille, espèce de première importance pour l’économie des pêches continentales et estuariennes est particulièrement affectée par ce morcellement des écosystèmes. En 2018, sur les 9 564 obstacles dénombrés sur ses habitats essentiels pour l’accomplissement de son cycle biologique, seuls 19,6 % avaient été aménagés conformément aux exigences de l’espèce.

La surpêche : une excuse bien commode pour certains gestionnaires et utilisateurs des services écosystémiques

Depuis le milieu du 20e siècle, la pêche professionnelle en eau douce et dans les estuaires a été considérée à tort comme la principale responsable de la diminution des espèces. Elle a servi de variable d’ajustement à l’absence de gestion voire au pillage environnemental de nos écosystèmes (rivières, estuaires, lagunes, littoraux) au profit du développement des autres usages : urbanisation, tourisme, production d’énergie, de matériaux, de dépollution…

Cette approche sectorielle de la gestion de nos environnements continue de montrer ses limites et nous en payons le prix social, économique et environnemental. Ce constat amer s’illustre notamment par la non délivrance de licences de pêche professionnelle à l’anguille, par certains préfets (bassin du Rhône), sous prétexte que la reprise de la pêche « conduirait l’espèce à l’extinction » et ceci, depuis la levée de l’interdiction de pêche liée à la contamination par PCBs par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) en 2019. Ce principe de précaution, curieusement, ne s’applique pas aux autres usages comme l’agrochimie, l’hydroélectricité, les industriels…

La réduction de la période de pêche comme seule décision pour compenser l’intense prédation du silure sur les poissons migrateurs2 est un autre exemple de l’utilisation de la pêche comme seule variable d’ajustement aux déséquilibres engendrés, sans pour autant remédier au problème lié à cette espèce introduite envahissante dont les populations explosent dans de nombreuses zones colonisées entre autres par des espèces, telles que la lamproie, le saumon atlantique, la truite de mer, les aloses ou l’anguille/civelle. N’ayant pas de prédateur, la régulation du silure ne pourra pourtant se faire que par la pêche professionnelle, sans laquelle les efforts et subsides consacrés à la restauration de nos poissons migrateurs risquent d’être réduits à néant.

Malheureusement, tout se passe comme si l’objectif premier de la gestion de nos eaux douces et estuariennes était la disparition de cette activité, richesse de nos terroirs ruraux et maritimes, en partant du postulat que la dégradation du milieu et que les intérêts des autres acteurs ne laissent pas de place dans notre monde moderne à ce métier séculaire. Il est évident que nous n’acceptons pas cet horizon et que nous demandons aux instances gestionnaires que soit appliquée une gouvernance environnementale qui impose, comme nous nous le sommes imposés depuis de nombreuses années, de produire tout en minimisant l’empreinte écologique (voir note complémentaire).

Un avenir pour nos écosystèmes : faire le lien entre nature et culture

Notre expérience acquise sur le terrain et au cours des réunions que nous avons eues durant de longues années avec les instances gestionnaires et les ministères ne nous font pas partager l’optimisme affiché par Hermann Wanningen3 dans son interview à Cnews : « Les chiffres sont effrayants, mais nous savons que le nombre de poissons migrateurs peut revenir rapidement à la normale ». Nos populations de pêcheurs professionnels par leurs savoirs et leurs savoir-faire demandent à participer activement à la gestion des écosystèmes continentaux et estuariens en s’inscrivant dans un cadre de sciences participatives qui permet d’inclure la culture (ici halieutique) comme un des piliers du développement durable.

Comment, par exemple, se priver de leurs expertises pour mieux connaître et gérer une espèce comme l’anguille alors que les moyens d’investigation des organismes scientifiques et techniques ne peuvent inventorier cette espèce dans des milieux dont la profondeur excède un mètre (pêche à l’électricité) ? Comment atténuer l’effet désastreux des barrages sur la libre circulation de ces poissons alors que moins de 20 % des obstacles sont aménagés ?

Il en va de même pour la régulation des populations de silures, qui empêchent la libre circulation de ces poissons migrateurs en les chassant dans les estuaires.

Il est temps de mettre en place une véritable gestion de nos écosystèmes en considérant que le maintien de ces activités de petite pêche constitue une force et un atout pour le maintien de notre ruralité continentale et maritime et non un frein à la conservation de nos environnements. »

(À lire également la note complémentaire)

1 Poissons passant au cours de leur cycle biologique alternativement en eau douce et eau de mer
2 démontrée par marquage par exemple sur la lamproie marine
3 fondateur de la World Fish Migration Foundation