Environnement

Continuités écologiques : une course d’obstacles sans discontinuer

23 septembre 2019

Il n’est quasi pas une semaine sans que ne soient lancés un ou plusieurs appels d’offres de marché public pour l’aménagement de barrages et autres effacements d’obstacles, travaux visant à redonner libre cours aux eaux, aux sédiments et à offrir une nouvelle liberté de circulation aux espèces aquatiques. La restauration de la continuité écologique est, depuis fin 2009, un élément majeur de la politique de l’eau et de son objectif d’atteinte d’un bon état chimique et écologique. Mais la tâche est titanesque. L’Office français de la biodiversité (OFB) a actuellement recensé quelque 77 000 seuils, barrages et obstacles en tout genre, dont une bonne moitié n’est « d’aucun usage avéré » précise l’établissement public. « Mais un certain nombre de ces ouvrages ne posent pas de problèmes écologiques ou ne présentent pas d’enjeux » ajoute Pierre Mangeot de l’agence de l’eau Rhin-Meuse.

Objectif inaccessible

Entre 2007 et 2012, sur le bassin Rhin-Meuse, 26 ouvrages ont été détruits, 66 autres aménagés. Pour la seule année 2014, 35 ouvrages, étangs, seuils ou barrages, ont disparu du paysage. 27 obstacles ont été équipés de passes à poissons. L’objectif, sur ce bassin, était d’aménager, à l’horizon 2018, 1500 nouveaux ouvrages. Depuis 2007, sur le bassin Rhin-Meuse, 2 850 kilomètres de cours d’eau ont été restaurés et 222 ouvrages équipés ou effacés.
Mais, à l’échelle nationale, ce sont pas moins de 15 000 ouvrages qui devraient faire l’objet d’aménagements avant 2020. « Le rythme actuel de réalisation des travaux ne permettra pas à cet objectif d’être atteint. La direction de l’eau de la biodiversité du ministère de l’Environnement, de l’énergie et de la mer a fourni un ordre de grandeur : il y aurait une centaine d’ouvrages traités annuellement dans chaque grand bassin, soit environ 600 par an au total. Pour atteindre l’objectif à horizon 2020, il faudrait donc que le rythme actuel soit multiplié par six. » notent les députés Françoise Dubois et Jean-Pierre Vigier, auteurs, en janvier 2016, d’un rapport sur les continuités écologiques. Objectif inaccessible en somme. Non pas par manque de moyens financiers, semble-t-il. « Le financement ne constitue pas un facteur limitant » a ainsi pu affirmer Alexis Delaunay, ancien directeur du contrôle des usages et de l’action territoriale à l’OFB. Les six agences de l’eau ont inscrit aux budgets de leur schéma directeur d’aménagements et de gestion des eaux (Sdage) 2016-2020 les sommes à consacrer aux travaux d’aménagement des obstacles. Un peu plus d’un milliard d’euros pourrait être investi pour l’amélioration des continuités écologiques durant les cinq prochaines années.

Chère continuité

La restauration coûte cher. « Tout comme la réfection et l’entretien des ouvrages, qui coûtent voire davantage sur le long terme s’il n’y a pas d’usage économique associé pour financer ce maintien… » précise Pierre Mangeot. Sur la Charente, le conseil départemental lançait, en janvier 2016, un nouveau chantier pour débarrasser, à terme, le fleuve de ses obstacles, de l’estuaire à Châteauneuf-sur-Charente, soit sur un peu plus d’une centaine de kilomètres. Coût des travaux d’une première tranche – creusement d’une rivière de contournement et construction d’une passe à poissons – près de 1,5 million d’euros. 2 autres millions d’euros ont d’ores et déjà été mis au budget pour de futurs aménagements.
Sur la Sélune, fleuve manchot, le coût des destructions des barrages de la Roche-qui-Boit et de Vezins, et du réaménagement dans la foulée de la vallée, est estimé à quelque 50 millions d’euros. Au moins 20 millions d’euros, c’est la somme que devrait débourser EDF pour réaménager totalement le barrage de Poutès sur l’Allier, autre chantier emblématique, et exemplaire, a-t-on l’habitude de lire, de cette politique de restauration de la continuité écologique.

Volontés politiques

Mais pour les députés Françoise Dubois et Jean-Pierre Vigier, manque d’abord et avant tout une véritable volonté politique. Il faut, écrivent-ils encore, « sensibiliser les élus locaux aux enjeux liés à la restauration des continuités écologiques aquatiques afin de donner une impulsion nouvelle à cette politique publique ». D’autant que, poursuivent-ils, même « lorsque les décisions nécessaires à la restauration des continuités écologiques sont prises et que les travaux sont effectués, l’absence de concertation entre les parties prenantes en amont rend parfois les aménagements réalisés contre performants ». « Si une seule passe à poissons est inopérante, tout l’axe est condamné. » enchérit Aurore Baisez, directrice de l’association pour la gestion et la restauration des poissons migrateurs du bassin de la Loire (LOGRAMI).
Deux préconisations pour les parlementaires : alléger la fiscalité des aménagements réalisés dans le cadre de la continuité écologique et accorder en priorité des financements aux ouvrages situés sur des cours d’eau abritant des poissons migrateurs. « Sans action rapide, certaines espèces – le saumon atlantique dans l’Allier, l’anguille – pourraient disparaître » dénoncent-ils.

La Touques à Lisieux. Avec barrage-clapet et passe à poissons (à gauche) qui « ne fonctionnait pas » précise l’OFB. Après arasement de l’obstacle, en 2008

Créé en 2016, le centre national pour la restauration des rivières, piloté par l’OFB, a pour objectifs de « favoriser la mise en réseau des acteurs de la restauration, rendre visible leurs actions et permettre la création d’un centre de ressources accessibles à tous ».