Les écrevisses exotiques, rouges de Louisiane (Procambarus clarkii), américaines (Orconectes limosus) et californiennes (Pacifastacus leniusculus) pullulent en veux-tu en voilà. Il est désormais illusoire d’imaginer les extirper définitivement des milieux qu’elles colonisent et dégradent en provoquant de profondes modifications sur la flore et la faune autochtones. L’effet de leur exploitation et de leur commercialisation sur l’évolution de leurs populations n’a jamais été étudié. Pas plus que n’ont été analysés les coûts-bénéfices sur la biodiversité et en termes de réduction d’impacts sur les usages, depuis l’abandon, en 2017, du projet porté par le groupement de pêcheurs professionnels d’écrevisses invasives et d’espèces abondantes (GPPEIEA) en Charente-maritime et en Gironde. Mais exploitation et commercialisation participent-elles pour autant à leur dissémination ?
« La commercialisation de ces écrevisses, pourquoi pas, nous ne sommes pas opposés au principe, mais l’arrêté du préfet de l’Indre, de mai 2024, de lutte contre les écrevisses exotiques, rouges de Louisiane (Procambarus clarkii), sur une partie des étangs de la Brenne, n’en donne pas un cadre suffisamment précis. Les engins de pêche autorisés, des nasses, ne sont pas assez sélectifs. Ils peuvent, par exemple, capturer des tortues qui ne vont pas pouvoir s’échapper et vont alors mourir noyées. Nous l’avons déjà constaté, tout comme la non-capture des petites écrevisses. » explique Bruno Barbey, directeur de la fédération de l’Indre pour la pêche et la protection du milieu aquatique qui, associée à l’association Indre nature, antenne départementale de France nature environnement, contestaient la décision préfectorale devant le juge des référés du tribunal administratif de Limoges en juin suivant. « La commercialisation des écrevisses exotiques présente un risque sanitaire pour l’homme, pour la biodiversité, de patrimonialisation de l’espèce et [n’est pas cohérent] avec les actions et programmes en cours sur le territoire du parc naturel régional […] Le piégeage par nasse n’est pas une mesure sélective et est de nature à favoriser le développement des écrevisses rouges de Louisiane » était-il argumenté.
Évolution des populations d’écrevisses rouges de Louisiane (Procambarus clarkii) entre 1992 et 2024 ©OpenStreetMap contributors et ©OpenMapsTiles,GBIF
Fatalité
À la lecture de l’arrêté tout semble pourtant plutôt bien cadré – pas moins bien en tout cas que les décisions préfectorales similaires dans d’autres départements – de la capture sans distinction de tailles, avec destruction des spécimens invendables, au transport en caisses hermétiques et à la livraison au transformateur final. Mais ce que redoute la fédération, c’est la dissémination par effet d’aubaine, de malveillance intéressée de « propriétaires d’étangs à la recherche de nouvelles ressources financières », des écrevisses qui s’échapperaient mine de rien pour coloniser des étangs qui ne le sont pas. « En Brenne, environ 25 % des 3 000 étangs sont infestés et nous devons rester dans une politique de lutte contre cette invasion » indique Bruno Barbey. « Les premières mentions de présence d’écrevisses de Louisiane en Brenne remontent officiellement à 2007, date des premiers recensements. Son expansion s’est probablement faite à partir des étangs du centre du parc. Sur les quelque 600 sites que nous avons diagnostiqués, 276 n’étaient pas encore colonisés par les écrevisses de Louisiane. Les opérations de piégeages, par nasses, que nous menons en collaboration avec les propriétaires des étangs permettent de réguler les populations. » précise Aurore Coignet, chargée de mission environnement pour le parc naturel régional de la Brenne.
En juillet, le référé était rejeté, faute d’urgence, et l’affaire ne devrait pas être jugée sur le fond avant 2026.
En attendant, le parc naturel régional de la Brenne rappelle, sur son site, que « Les niveaux d’eau étant très importants cette année, cette espèce qui affectionne particulièrement ces conditions, en profite pour coloniser de nouveaux sites. Certains secteurs sont d’autant plus touchés par ce phénomène (étangs de grandes surfaces en eau, secteurs non piégés…). Sachant que l’écrevisse de Louisiane peut parcourir plusieurs kilomètres par jour sur la terre ferme, celle-ci a profité des conditions météorologiques rencontrées ces dernières semaines pour coloniser de nouveaux plans d’eau, rivières, mares et fossés. »
Une vague de colonisation qui interroge sur l’efficacité des opérations de piégeage réalisées par le parc et les propriétaires d’étangs et qui conduit à se demander pourquoi préjuger qu’une exploitation commerciale menée dans les règles de l’art serait moins efficace.