Portrait

Les passions de jeunes pêcheurs pros des hauts de bassin

11 novembre 2019

À, respectivement 25 et 31 ans, Florestan Giroud et Simon Collin ont monté leur petite entreprise de pêche professionnelle. Portrait croisé de ces jeunes pêcheurs passionnés du Haut-Rhône et de Haute-Saône.

Pêcher les passionne. Ils en ont fait leur métier. « Mon père est pêcheur professionnel, sur le lac du Bourget aujourd’hui. Quand j’étais petit, dès que je pouvais, je l’accompagnais sur le Rhône où il exerçait alors. Je devais avoir 6 ou 7 ans. À 15 ans, je savais manier des filets » raconte Florestan Giroud. Aussitôt son bac pro gestion des milieux naturels et de la faune en poche, Florestan monte, en 2013, à 18 ans, son entreprise de pêche. Et il est aujourd’hui secrétaire de l’association des pêcheurs professionnels de la Saône, du Doubs et du Haut-Rhône, et trésorier du Comité national de la pêche professionnelle en eau douce (Conapped).

« Je pêchais la carpe. Pour le sport. Pour faire de belles photos trophées » indique, de son côté, Simon Collin. Il savait que le métier de pêcheur professionnel existait, mais n’en avait « pas forcément une bonne image. Et puis je suis tombé sur un article sur Jonas Merklin, un pêcheur pro sur la Saône et le Doubs. J’ai rencontré Frédéric Pin, le président de l’association des pêcheurs professionnels du Doubs, de la Saône et du Haut-Rhône. J’ai passé des coups de fil à d’autres pêcheurs ».

En mai 2018, Simon Collin, 31 ans aujourd’hui, posait ses premiers filets dans les eaux de la petite Saône, 12 kilomètres à exploiter, répartis en cinq lots, s’étalant sur 25 kilomètres de rivière en tout, en amont de Gray, modeste bourg à une cinquantaine de kilomètres au nord-est de Dijon. « Je voulais être dehors, travailler à mon compte, maîtriser toutes les étapes de mon activité, du début à la fin, ne plus dépendre des autres. » explique Simon. Finis, pour ce titulaire d’un BTS gestion des espaces naturels, le salariat agricole dans un élevage laitier du Jura, les missions d’intérim en fonderie, le travail à la chaîne en usine agro-alimentaire…

La petite Saône est une rivière très sauvage, fréquentée par de nombreux touristes fluviaux étrangers qui lui trouvent un petit air d'Amazone, avec des méandres qui laissent l'esprit divaguer et se demander où on va.Simon Collin

De la Haute-Saône au Haut-Rhône

La pédagogie du pêcheur

Florestan, lui, pêche sur le Haut-Rhône, entre Bellegarde, petit village de l’Ain traversé par un bout de fleuve encore sauvage, et le barrage de Génissiat, quelques kilomètres plus en aval. « On est trop bien ici. Jamais, je ne lâcherai ces lots. », malgré quelques frictions sporadiques avec deux ou trois pêcheurs à la ligne, virulents opposants de la pêche professionnelle, des vols de nasses et autres menaces. Simon Collin a, lui aussi, éprouvé les relations difficiles avec une petite poignée de pêcheurs de loisir. « Je savais en m’installant que ça allait être un peu chaud. Mon matériel a parfois été vandalisé. Mais j’ai fait le tour des fédérations et des associations. J’explique que mettre un filet, ce n’est pas remonter une guirlande de poissons. Je fais de la pédagogie. Et je pratique mon métier en toute transparence. »

De l’ablette au silure

Les eaux de ces cours d’eau de haut de bassin sont fraîches une grande partie de l’année – « nous sommes proches des glaciers » précise Florestan Giroud – et souvent tumultueuses dans cette partie du Haut-Rhône. « Les niveaux d’eau de mon secteur sont soumis aux précipitations du plateau de Langres et du sud des Vosges » complète Simon Collin. « Mais je connais bien les lieux pour les avoir notamment parcourus en aviron depuis une quinzaine d’années. »

Florestan pêche barbeaux, 80 % de ses prises, « un poisson à chair ferme, et au goût fin », brèmes, des carnassiers « de façon épisodique », écrevisses, « des pacifastacus » et parfois des silures, « population encore en phase d’expansion, mais qui, me semble-t-il, a d’ores et déjà un impact sur les populations de tanches, moins nombreuses désormais dans mes filets ». Le mastodonte a, par contre, déjà largement colonisé les eaux de la petite Saône. C’est en Seille, affluent rive gauche de la Saône, entre Mâcon et Chalon-sur-Saône, qu’il a repris possession des milieux aquatiques français, dans les années 1970. Il est, pour Simon, une part importante de ses captures. « C’est une rivière qui lui convient bien. La succession de barrages, tous les trois kilomètres environ, lui offre des eaux calmes, truffées de refuges de bois morts ». Simon cible également en priorité l’ablette, le gros de ses pêches estivales. À l’occasion, il remonte dans ses filets barbeaux, brèmes, sandres – carnassiers dont il ne soupçonnait pas la présence lorsqu’il pêchait la carpe pour son plaisir – et brochets, « captures anecdotiques » en raison notamment de la disparition de ses zones de frayères à la suite des dragages des sédiments utilisés par le BTP.

Simon Collin est également garde-pêche assermenté.

Valorisation tous-azimuts

« On commence à voir de l’aspe. Une arrivée récente, probablement via le canal de l’est reliant les eaux de la Meuse et de la Moselle à celles de la petite Saône » explique Simon. « C’est un poisson avec des arêtes fines. Il faut trouver une bonne façon de le transformer, d’apporter de la valeur ajoutée à sa capture ». Pour Florestan et Simon, chaque poisson pêché doit être valorisé. Ablettes, sandres, brochets sont vendus en direct à des restaurateurs, auberges familiales ou chefs étoilés, ou à leurs bons clients. « Le silure fait doucement son apparition sur les cartes. » précise Florestan. « Angelo Ferrigno, le plus jeune chef étoilé de France, m’a appelé pour que je lui livre du poisson pour le restaurant qu’il vient d’ouvrir à Dijon. Il a une passion particulière pour la friture d’ablettes, mais il est preneur de toutes les espèces de poisson. » commente, avec un petit pincement de fierté dans la voix, Simon Collin. Florestan mitonne rillettes, marinades, travaille avec une conserverie artisanale de la région parisienne. Dans son laboratoire, Simon teste ses recettes de conserve, expérimente, en digne descendant d’une « famille de paysans auto-consommateurs », des fumages de silure et de carpe. « J’essaie également de trouver le bon procédé de tannage de la peau de silure pour en faire des objets de maroquinerie. Mais au séchage, la peau de silure devient rapidement dur comme du carton. ». Florestan, lui, arpente foires et salons de la région alors qu’un samedi sur deux, Simon dresse son étal, à Bucey-lès-Gy (Haute-Saône), son village natal, dans la cave de Vincent Cheviet, un ami vigneron.

Florestan Giroud, entre pêches commerciales et pêches scientifiques

Pérennité de la passion

En s’installant, Florestan s’était donné « cinq ans » pour construire sa petite entreprise, asseoir ses fiabilité et viabilité économiques. Il y est, peu ou prou. La seule vente de ses poissons ne lui permet toutefois pas de l’atteindre. Des pêches scientifiques et de sauvetage de poissons lors de la mise à sec de retenues de barrages complètent ses revenus. « À terme, j’aimerais partager mon temps de travail entre ces deux activités, 50 % de pêches commerciales, 50 % de pêches scientifiques » confie t-il.

« Je découvre ma ressource. Les eaux sont de bonne qualité. Et donc les poissons également » précise Simon. Il pêche chacun de ses lots une fois par semaine. Mais tous ne sont pas poissonneux de la même façon, et deux, dépourvus de berges pouvant être équipées de pontons, sont particulièrement difficiles d’accès en bateau.

Aux bonnes pêches de sa première année d’exercice a succédé un été 2019 particulièrement sec et chaud, réduisant les niveaux à un filet d’eau. « Dans ces cas-là, il n’y a rien à faire. Pêcher est extrêmement compliqué » pour Simon. « Je saurai qu’une très mauvaise année, ça peut arriver. Mais je sais aussi ce qu’il faut que je fasse pour mieux valoriser ma pêche et ainsi anticiper une année de faibles captures. »

« C’est un métier passion » s’enthousiasme Florestan Giroud. Plaisir de prendre le temps de monter méticuleusement ses propres filets, bonheur, quelle que soit la saison, des aubes et des crépuscules paisibles sur l’eau, heures de relève et de pose des engins de pêche. «  Le froid et la pluie ne m’ont jamais empêché de faire ce que j’avais à faire » ajoute Simon Collin.

« Exploiter intelligemment des milieux riches en ressources » et offrir à leurs clients « des poissons bien frais et des produits haut de gamme » sont, pour les deux pêcheurs, les meilleures garanties de pouvoir vivre de leur passion ad vitam æternam.

Sérénité de l'aube sur la Saône