Absence prolongée de précipitations, chaleurs caniculaires à répétition, prélèvements d’eau sans vergogne de l’agriculture intensive… Partout en France, les niveaux d’eau des fleuves et des rivières sont au plus bas. Les réductions d’arrivées d’eau douce impactent les ressources marines littorales. Les bonnes intentions d’économies d’eau proclamées à l’issue des Assises de l’eau se brisent parfois sur des décisions risquant fort d’aggraver la situation.
La quasi-totalité du réseau hydrographique français est en crise. L’eau manque. Des restrictions de consommation, prises dès juillet dernier, en pleine période de canicule, sont toujours aujourd’hui en vigueur dans plus de quatre-vingts départements. Dans certains d’entre eux, elles ont été renforcées en septembre, mois particulièrement sec, aux températures encore exceptionnellement élevées. Les débits des rivières et des fleuves enregistrent des niveaux d’étiage inexorablement bas. La vie aquatique est en péril. « Le dérèglement climatique, dont les conséquences sont aujourd’hui perceptibles, renforce les tensions sur les ressources en eau et affectera à terme l’ensemble des écosystèmes, des territoires et des acteurs. L’atténuation et l’adaptation au dérèglement climatique sont donc des défis considérables et urgents, qui appellent des réponses à la fois systémiques et collectives permettant l’émergence de nouveaux modèles – et pas seulement des évolutions à la marge. » est-il joliment écrit en préambule du mémorandum rédigé en conclusion des Assises de l’eau, raout gouvernemental qui a rassemblé, entre novembre 2018 et juillet 2019, sous l’égide des ministères de la Transition écologique et solidaire et de l’Agriculture, des représentants de collectivités territoriales, d’organisations professionnelles, d’entreprises, d’associations de protection de l’environnement, d’associations de consommateurs, d’instituts et recherches…
Assises branlantes
La préservation des écosystèmes aquatiques est l’une des bonnes intentions claironnées par le ministère de la Transition écologique. Mais les faits démentent l’annonce. En plein mois d’août, les préfets, ici et là, décrétaient d’abaisser les seuils légaux de débit minimal des cours d’eau – seuils en-dessous desquels il n’est plus possible de prélever l’eau – pour satisfaire les exigences de l’agriculture irriguée. Au risque de finir d’assécher rus et rivières, les maigres filets d’eau étaient pompés pour arroser champs de maïs à perte de vue et cultures de plein-champs. C’était notamment le cas en Indre-et-Loire. « Nous n’ignorons pas que des seuils de débits d’alertes déclenchant les mesures d’économies d’eau sont prescrits par arrêtés préfectoraux. Mais ces seuils ont été déterminés alors que le dérèglement climatique n’avait pas été apprécié avec la violence qu’il exprime actuellement. Pourtant, le Comité de bassin Loire-Bretagne a adopté l’an dernier un plan d’adaptation au changement climatique, et la deuxième phase des Assises de l’eau sur le grand cycle place les économies de consommations d’eau en bonne place des mesures qu’il convient de prendre pour que l’eau continue à remplir ses multiples fonctions pour la société et l’environnement. Or un paramètre essentiel pour le maintien des deux fonctions prioritaires de l’eau, sa potabilisation et la survie de la biodiversité des milieux aquatiques, est l’oxygène dissous, dont la teneur dans l’eau est inversement proportionnelle à la température. Il nous paraît assez évident que pour que ces fonctions de l’eau puissent continuer à être assurées, le débit minimum dans les cours est forcément plus élevé quand la température de l’eau monte à 30 °C que quand elle reste à 20 ou 25 °C. Après plus d’’’un an de déficit hydrologique sur le bassin de la Loire, et alors que des températures extrêmes se sont produites les jours passés, dépassant parfois les 30 °C en Loire, et alors que des alertes avaient été lancées de notre part, notamment lors du Comité de bassin réuni à Fondettes, le 25 avril dernier, il nous semble dommageable que des mesures d’économies d’eau n’aient pas pu être prescrites suffisamment tôt de manière à anticiper une crise qui nous semblait prévisible. En particulier, la poursuite de l’irrigation de plein champ par aspersion des maïs sur sol nu en plein jour par plus de 40 °C à l’ombre est incompréhensible pour beaucoup, compte tenu des pertes. Sans ignorer les difficultés du monde agricole, le maintien de telles pratiques nous semble être un facteur aggravant de la situation et dommageable à l’ensemble de la société, absolument incompatible avec les objectifs de gestion durable d’une ressource fragile. » écrivait, en août dernier, à la préfète et au directeur de la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) d’Indre-et-Loire, Philippe Boisneau, directeur général du Comité national de la pêche professionnelle en eau douce (Conapped) et participant aux Assises de l’eau. « Les débats y ont été compliqués » raconte-t-il, en particulier avec les représentants de l’agriculture irriguée. « Elle pompe, chaque année sur le bassin de la Loire, 650 millions de m³ d’eau, un peu moins que les besoins des centrales nucléaires, 700 millions de m³, pour le refroidissement des réacteurs. » indique Philippe Boisneau.
Productions en péril
Faibles niveaux d’eau et chaleur ont, cette année encore, fait proliférer les algues vertes filamenteuses sur l’ensemble des cours d’eau de la Loire et du Cher, notamment. En août 2017, cette même combinaison de phénomènes favorisait, sur ce même bassin ligérien, la production de nouvelles espèces de cyanobactéries neurotoxiques, provoquant la mort d’une dizaine de chiens. Le préfet du Maine-et-Loire interdisait alors la baignade et la commercialisation des produits de la pêche professionnelle. Les prélèvements d’eau pour l’irrigation restaient, eux, autorisés. « Le développement de l’irrigation est susceptible de renforcer la vulnérabilité des écosystèmes aquatiques à l’eutrophisation. » indique, sur la foi de travaux scientifiques du CNRS, de l’Inra, d’Ifremer et d’Irstea, Jérémie Souben, chargé de mission au Comité national de la pêche professionnelle en eau douce et au comité national des pêches maritimes et des élevages marins. La décision, début septembre, du ministre de l’Agriculture, d’autoriser la création, avant 2022, d’une soixantaine de retenues d’eau, appelées également « bassines » dans lesquelles les agriculteurs puisent l’eau nécessaire à leurs cultures en période de pénurie, n’est, pour les associations de défense de l’environnement, pas une bonne nouvelle pour les écosystèmes aquatiques. Ce sont, en effet, autant d’eaux de ruissellement, captées par ces retenues, l’équivalent réglementairement de barrages, rappelons-le, qui vont faire défaut aux eaux libres. Pour la FNSEA, les jeunes agriculteurs, les chambres d’agriculture – aux mains, à l’exception de celle des Pays de la Loire, de la FNSEA – et les irrigants de France, « la mise en place de retenues permet de mobiliser l’eau des pluies abondantes pour l’utiliser en période de sécheresse, et contribue à lutter contre les incendies, abaisser les températures, préserver la biodiversité et maintenir une agriculture résiliente1 ». Des vertus des barrages qui ont visiblement échappé à l’Europe et à sa directive carde-eau, dont les ambitions de bon état écologique des cours d’eau passent par l’arasement des obstacles.
La faune aquatique souffre des faibles hauteurs d’eau et des déficits en oxygène. Les remontées des poissons migrateurs vers leurs frayères habituelles sont compromises. Les reproductions des poissons sédentaires ne sont pas plus garanties de succès. La diminution des arrivées d’eau douce perturbe les équilibres écosystémiques des zones littorales. « Les écosystèmes d’eau douce ou d’interface entre eau salée et eau douce, zones humides, lagunes, estuaires, zones littorales, ont une place particulière dans le fonctionnement biologique de nombreuses espèces commercialisées : captage et grossissement (coquillage), nourriceries (sole, bar), reproduction (maigre, raies, brochet), migration (anguille, saumon), refuge. L’eau douce, en quantité et en qualité, permet d’apporter les éléments organiques et minéraux essentiels aux productions planctoniques et aux cycles de vie des espèces qui dépendent totalement ou en partie de ces écosystèmes. » expliquent les représentants des pêcheurs professionnels en eau douce, des marins pêcheurs et des conchyliculteurs.
Partager pour survivre
En juin 2019, une équipe internationale de scientifiques publiait dans la revue anglaise Nature Geoscience un article plaidant pour une nouvelle représentation du cycle de l’eau. Un plaidoyer de refonte loin d’être anecdotique, tant nombre de représentations omettent totalement les interactions humaines, les changements climatiques ou les pollutions. L’agriculture, la déforestation, la destruction des zones humides modifient l’évapotranspiration, perturbent les capacités des nappes phréatiques à refaire le plein, affaiblissent les débits des rivières et modifient les niveaux de précipitations, rappellent en substance les scientifiques. Une meilleure représentation du cycle de l’eau permettrait sans doute aux décideurs de prendre réellement conscience des conséquences néfastes de la surconsommation d’eau et pourrait les inviter à trouver des solutions pour une gestion plus équitable de la ressource, plaident-ils. En attendant de redessiner le cycle de l’eau, pêcheurs professionnels en eau douce, marins-pêcheurs, conchyliculteurs et aquaculteurs militent d’ores et déjà, via notamment une lettre ouverte adressée au Premier ministre, Édouard Philippe, pour la mise en place d’un nouveau partage de l’eau douce pour, dans un contexte de raréfaction de la ressource, lui permettre de continuer à remplir ses différentes fonctions, de la source à la mer.